Chroniques : L’économie concrètement

Taïeb Hafsi
Professeur émérite, HEC Montréal.
Réflexions et clarifications sur l’économie et la société (1ère partie)

Présentation des notes

Cette chronique économique et sociale présente une série de notes destinées à clarifier les règles importantes qu’un état intelligent utilise ou respecte pour stimuler un fonctionnement économique et un équilibre social satisfaisant. Ces notes sont élaborées en ayant surtout à l’esprit les besoins des pays dont les économies sont émergentes. Elles sont utiles notamment pour l’Algérie et les pays du front méditerranéen de l’Afrique. Elles peuvent aussi être utiles pour l’ensemble des pays africains et des pays du tiers-monde.

L’auteur est professeur émérite en stratégie des organisations à HEC Montréal et membre de la Société royale du Canada.  Il a une longue expérience en enseignement et recherche sur les sujets de management appliqué aux organisations complexes, en particulier les états, les organisations diversifiées et les organisations internationales. Ses travaux sur ces sujets ont été diffusés dans plus de 40 livres et 150 articles de revues internationales.

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La stabilité institutionnelle ou des règles du jeu claires

Adam Smith, en 1776, dans son livre Enquête sur la nature et les causes des richesses des nations disait : « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce n’est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c’est toujours de leur avantage. ».

Le fonctionnement de l’économie est bien entendu basé sur ce grand principe. On peut tenter de l’améliorer en faisant aussi appel à l’altruisme, mais dès qu’on dépasse le court terme, c’est l’égoïsme qui est le déterminant des comportements économiques. Dans la construction des institutions, l’État ne peut ignorer cela. Un deuxième principe important est que du fait de l’attitude des êtres humains face à l’incertitude, les comportements économiques des individus sont biaisés vers le court terme.

Ces deux principes suggèrent que lorsqu’on veut influencer des investisseurs, étrangers ou nationaux, c’est inutile de faire appel à leurs sentiments, cela n’aura pas d’effets. Même les pressions politiques ne serviront à rien.

Les investisseurs vont donc toujours préférer des situations où les relations de cause (investissement) à effet (profit) sont claires pour préserver leurs intérêts. Si on leur impose des incertitudes ou des risques plus grands, ils vont exiger dans les faits et souvent obtenir (contournements légaux de toutes sortes) une rémunération plus grande.

Donc :

  1. Pour susciter l’investissement qui favorise l’intérêt national (générateur d’emplois et d’avantages concurrentiels pour les acteurs et les activités du pays), des règles du jeu claires sont toujours préférables à des règles ambigües, même si elles engagent beaucoup l’État.
  2. Des règles du jeu claires sont non seulement des règles/lois qui spécifient les relations de cause à effet (encouragements, conditions, contraintes), mais de plus elles doivent :
    1. Être stables et jamais rétroactives
    2. Être insensibles aux actions discrétionnaires des fonctionnaires ou des politiciens
    3. Permettre des arbitrages légaux ou administratifs neutres pour les cas ambigus ou imprévus
  3. Des règles du jeu stables sont des règles qui ne sont jamais surprenantes, ni dans leur élaboration, ni dans leur introduction, ni dans leur extinction. Ainsi :
    1. Avant d’émettre une règle ou loi, il faut toujours préparer les acteurs (individus et organisations) à la respecter (dans les pays occidentaux, une loi est annoncée, discutée dans des forums appropriés et ne devient effective qu’après deux ou trois ans, ce qui laisse le temps aux acteurs de s’adapter)
    2. Une bonne règle ou loi doit avoir un début et une fin. Même les lois qui doivent être plus permanentes doivent prévoir des révisions au bout d’une période fixée à l’avance.
  4. Pour éviter la sensibilité aux actions discrétionnaires des fonctionnaires et des politiciens, les états ont inventé plusieurs mécanismes :
    1. Les règles « sunset » imposant aux officiels d’agir au bout d’un temps déterminé. Ainsi, une demande est sensée être acceptée si l’administration ne répond pas à temps.
    2. Les règles « sunrise » imposant aux officiels de prévoir des périodes d’essai dans des cas très controversés
    3. Des mécanismes d’arbitrage bienveillants comme « les protecteurs du citoyens ».
  5. L’arbitrage neutre doit comprendre des arbitres nommés par les parties et dont la rémunération est insensible aux actions des parties.

Dans les notes suivantes, nous parlerons de l’encouragement de l’investissement et de son encadrement. Nous suggérerons aussi que l’économie nationale suppose des champions nationaux (publics et privés) qui facilitent l’expérimentation et qui deviennent des moteurs pour les autres investisseurs.

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