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Mandat de protection : Quand l’inattendu frappe, qui décide pour vous ?

Au Québec, chaque jour, des familles se retrouvent démunies face à l’inattendu. Un accident, une maladie, une perte soudaine d’autonomie… Dans ces moments critiques, qui prend les décisions médicales, financières et familiales si vous ne pouvez plus le faire ? L’histoire de Raphaël et Lyna illustre parfaitement cet enjeu.

Par Me Khaled LARBI-CHERIF, Notaire

Raphaël et Lyna mènent une vie heureuse à Montréal, entourés de leurs deux jeunes enfants. Ils travaillent dur pour bâtir leur avenir et rembourser l’hypothèque de leur maison. Tout semble sous contrôle, jusqu’à ce matin où tout bascule : Raphaël est victime d’un grave accident de la route. Il survit, mais tombe dans un coma profond.

Le choc est immense. Lyna ne sait plus quoi faire, elle se précipite à l’hôpital, appelle ses parents pour s’occuper des enfants et essaie de rester forte. Les premières journées passent dans un tourbillon d’inquiétude et de visites médicales et très vite, la réalité financière s’invite dans cette tempête émotionnelle.

Un appel de la banque vient briser le peu de répit qu’elle avait : le prêt hypothécaire de la maison arrive à échéance. Il faut renouveler ou refinancer, ce qui implique de signer de nouveaux documents. Lyna, convaincue que ce sera une simple formalité, contacte son conseiller et la réponse tombe comme un couperet : elle ne peut pas signer à la place de Raphaël. Même mariée et copropriétaire, la loi ne lui donne pas automatiquement ce droit.

Ce que Lyna découvre à ce moment-là, c’est que sans un document juridique précis, elle est impuissante. Pour pouvoir agir au nom de Raphaël, elle devra demander l’ouverture d’une tutelle pour une personne majeure. Cela signifie obtenir, entre autres, des évaluations médicales et psychosociales, déposer une requête et après une longue procédure, un jugement. Pendant ce temps, les paiements s’accumulent, la banque presse pour une solution et l’angoisse monte.

Et si le pire était arrivé ? Et si, par malheur, Lyna était avec son conjoint dans la voiture et comme ce dernier, elle aussi avait perdue toute capacité de communiquer avec le monde extérieur ? Qui s’occuperait des enfants ? Qui veillerait sur leur quotidien, leurs études, leur bien-être émotionnel ? La loi prévoit que ce serait au tribunal de décider, en nommant un tuteur légal. Le choix pourrait ne pas correspondre à leurs valeurs ou à ce qu’ils auraient souhaité et dans l’attente de cette décision, les enfants pourraient être confiés temporairement à un membre de la famille ou dans certains cas, à une famille d’accueil… un scénario que peu de parents envisagent.

C’est là qu’intervient le mandat de protection. Anciennement appelé « mandat en cas d’inaptitude », ce document juridique vous permet de désigner à l’avance une ou plusieurs personnes pour prendre soin de vous et gérer vos biens si vous devenez inapte. Contrairement à une procuration, qui cesse d’être valide dès qu’une inaptitude est constatée, le mandat de protection prend effet uniquement après que votre incapacité est confirmée par des évaluations médicale et psychosociale et que le document soit homologué par un tribunal.

Avec un mandat bien rédigé, Lyna aurait pu renouveler l’hypothèque, payer les factures, autoriser des transactions et, surtout, avoir le temp de s’occuper de ses enfants convenablement.

Dans le cas où les deux parents étaient devenus inaptes, le mandat aurait pu prévoir, dans la mesure permise par la loi, qui deviendrait tuteur légal des enfants mineurs. Cette disposition permet d’éviter que ce choix crucial soit laissé au hasard ou tranché par un juge sans connaître réellement la volonté des parents.

Sans mandat, les conséquences peuvent être extrêmement lourdes. C’est au juge de décider, après une procédure souvent longue et coûteuse. On parle d’un délai de plusieurs mois avant qu’une personne ne soit officiellement autorisée à gérer vos affaires ou à prendre des décisions médicales en votre nom. Pendant ce temps, vos biens peuvent perdre de la valeur, vos factures sont impayées et certaines décisions urgentes sont retardées.

Prenant l’exemple de Jean, 58 ans, qui subit un accident de moto. Il avait prévu un mandat désignant sa conjointe comme mandataire aux biens et à la personne. Quelques semaines après l’accident, elle pouvait payer les factures, vendre un véhicule inutilisé, autoriser les soins médicaux. Pas de perte financière inutile, pas de procédure judiciaire lourde et si Jean avait eu de jeunes enfants, le mandat aurait pu aussi prévoir leur prise en charge temporaire, évitant un placement improvisé.

On croit souvent, à tort, que ce genre de document ne concerne que les personnes âgées, toutefois, l’inaptitude ne prévient pas. Un accident de la route, une maladie soudaine, un épisode de santé mentale peuvent frapper à tout âge. Et contrairement à une assurance, qui se limite à verser une somme d’argent, le mandat de protection agit directement sur la gestion de votre vie, de vos biens et de la protection de vos enfants, au moment précis où vous ne pouvez plus le faire vous-même.

Rédiger un mandat de protection, c’est aussi réfléchir à des questions difficiles : qui voulez-vous voir gérer vos finances ? Qui prendra les décisions médicales à votre place ? Qui assurera la garde et l’éducation de vos enfants mineurs si vous ne pouvez plus le faire ? La personne choisie saura-t-elle respecter vos valeurs et vos volontés ? Et si elle ne peut pas remplir ce rôle, avez-vous prévu un remplaçant ? Ce sont des choix qui méritent d’être discutés avec un notaire, pour que le document soit complet, conforme à la loi et adapté à votre situation personnelle.

Un mandat bien conçu apporte également une protection contre les conflits familiaux. En désignant vous-même qui agit à votre place, vous évitez que vos proches se disputent cette responsabilité devant un tribunal. Vous leur épargnez le poids émotionnel et financier d’une procédure judiciaire lourde, à un moment où ils devraient se concentrer sur votre santé et votre bien-être.

En réalité, signer un mandat de protection n’est pas un acte administratif froid. C’est un geste profondément humain.

 

C’est dire à vos proches : « Si un jour je ne peux plus décider, voici qui j’ai choisi pour me représenter. Voici comment je veux que mes biens soient gérés. Voici qui prendra soin de mes enfants. » C’est une manière de protéger non seulement vos biens, mais aussi les personnes que vous aimez le plus.

L’histoire de Raphaël et Lyna illustre parfaitement l’enjeu. Sans mandat, Lyna se retrouve à devoir gérer seule une crise médicale, des démarches judiciaires, une pression financière, tout en élevant ses enfants. Avec un mandat, elle aurait pu agir immédiatement, protéger la maison et assurer la stabilité des enfants, même dans la tempête.

On ne peut pas tout prévoir dans la vie. Mais on peut se préparer. Au Québec, le mandat de protection n’est pas un luxe réservé à quelques-uns : c’est une nécessité. Il protège vos décisions, vos biens, et surtout vos enfants. Les démarches sont simples tant que vous êtes apte, mais elles deviennent complexes et coûteuses quand il est trop tard.

Rédiger un mandat de protection, c’est choisir la sérénité et la sécurité. C’est vous assurer que vos décisions, vos biens et vos enfants seront protégés, quoi qu’il arrive. Prenez rendez-vous avec un notaire : quelques heures aujourd’hui peuvent éviter, à vos proches, des mois de procédures demain.

 

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