La séquence économique

Docteur en innovation et prospective, université Nice (France).Maîtriser son futur pour les entreprises (2ème partie)

Dans le paysage entrepreneurial algérien, de nombreux exemples, semblables à l’histoire de notre ancien distributeur de produits sanitaires de nettoyage, méritent d’être évoqués. Ce distributeur a longtemps prospéré grâce à une activité bien établie, des relations solides avec son fournisseur, et des liens allant au-delà du cadre professionnel avec ses clients.

1. L’évolution des entreprises face à l’incertitude du futur et aux changements

1.1. La problématique des causes des réussites et des échecs des entreprises

Son succès semblait durable, mais progressivement, et sans qu’il ne s’en rende compte, son activité a décliné. L’apparition des emballages à usage unique et l’évolution du contexte industriel ont radicalement changé les modes de production et de distribution, rendant ses méthodes obsolètes. Incapable de s’adapter à ces transformations, il a vu son entreprise péricliter.

Ce phénomène n’est pas isolé. Durant la période coloniale en Algérie, de nombreuses entreprises dirigées par des colons, des sociétés françaises ou des algériens même ont connu un succès considérable. Cependant, il ne faut pas oublier les entreprises algériennes fondées par des pionniers, souvent enracinés dans les traditions agricoles locales, ont su exploiter les richesses de leur terre pour bâtir de véritables empires. Qu’il s’agisse de l’exportation d’olives, d’huile d’olive ou même d’œufs, ces entrepreneurs ont fait preuve d’une rare capacité à imaginer un avenir où leurs produits locaux atteindraient les rivages de la France, de l’Italie ou de l’Espagne.

Avec ingéniosité et ténacité, ces entrepreneurs algériens ont transformé des régions autrefois limitées à une agriculture de subsistance en terres d’exportation prospères. Ils ont réinventé les méthodes de collecte, amélioré le conditionnement pour répondre aux exigences du transport maritime, et développé des réseaux de distribution bien structurés. Chaque village et chaque ferme s’intégrait dans cette dynamique, permettant à ces produits de franchir les frontières, si de l’aspect économique cela répondait aux attentes des propriétaires de l’entreprise, ce n’est pas le cas aux populations qui intervenaient dans cette chaîne de valeur pour que les produits parviennent sur la rive nord de la méditerranée.

Nous ne pourrons pas considérer que cela est une activité équitable, les récoltes, les collectes, l’acheminement se faisaient souvent par le travail des enfants, des femmes qui laissaient leurs enfants ou portaient sur le dos leurs bébés pour pouvoir participaient dans l’une des tâches pour faire parvenir les produits au siège de l’entreprise exportatrice. Cela se faisait dans la faim et des privations pour une rémunération qui n’assurait pas souvent à subvenir à leur besoin essentiel de survie nourriture, habilement et l’école pour les enfants.

Cependant, avec l’indépendance de l’Algérie en 1962, un nouveau paysage économique s’est dessiné, marqué par la transition d’un modèle colonial à un modèle socialiste, bien que ce dernier ne fût pas encore clairement défini. La politique de nationalisation et les transformations économiques qui ont suivi ont freiné cet élan entrepreneurial. Beaucoup d’entreprises autrefois florissantes ont été étouffées par les nouvelles régulations, et leurs gestionnaires, confrontés à ces nouvelles réalités, n’ont pas toujours su s’adapter.

Certaines entreprises, toutefois, ont su s’organiser pour survivre aux bouleversements. Fondées durant la période coloniale, elles ont anticipé les changements et maintenu leur activité malgré les défis de la transition vers une économie nationale régulée pour une économie socialiste. Cela soulève un questionnement sur les causes des réussites et des échecs des entreprises de l’époque. Était-ce une compétence managériale exceptionnelle qui a permis de survivre malgré les mutations réglementaires introduites par le nouveau modèle économique post-indépendance, ou est-ce simplement une question de contexte économique où certains entrepreneurs ont préféré se retirer, laissant place à d’autres après l’indépendance ?

Ce débat reste ouvert. Il évoque une certaine nostalgie pour un passé entrepreneurial adapté au modèle colonial, tout en soulignant les difficultés de la transition vers un modèle post-indépendance. La disparition ou la transformation de ces entreprises symbolise un tournant dans l’histoire algérienne, où les ambitions individuelles se sont heurtées aux aspirations collectives de la nation. Ce bouleversement ne fut pas seulement économique, mais également social et politique, redéfinissant profondément le paysage des affaires en Algérie.

D’autres entreprises de l’époque post-indépendance, malgré un passé riche, n’ont pas survécu aux nouvelles mesures économiques engagées par les autorités de l’Algérie indépendante. À l’inverse, certaines petites entreprises ont connu des succès spectaculaires, se développant pour devenir des multinationales influentes. Ce contraste entre réussites et échecs des entreprises algériennes post-indépendance est illustré par les statistiques du Centre du Registre de Commerce, qui révèlent un taux élevé de disparition des entreprises dans les premières années de leur existence.

Le cycle de réussite des entreprises en Algérie reste rare, surtout dans les premières années suivant l’indépendance. Cela pose la question des facteurs déterminants du succès ou de l’échec d’une entreprise. Une étude approfondie de ces questions s’impose pour comprendre ces dynamiques complexes. Les exemples que nous venons d’évoquer, y compris celui de notre ancien distributeur de produits sanitaires, sont particulièrement intéressants pour ceux qui cherchent à analyser les causes profondes des succès et des échecs entrepreneuriaux.

Il est évident que les contextes ont évolué et se sont complexifiés au fil du temps. Les acteurs économiques, politiques et sociaux interagissent désormais à une échelle géographique beaucoup plus vaste, avec des délais d’adaptation bien plus courts qu’auparavant. À l’époque de notre vieux distributeur, les influences sur le marché étaient principalement locales : elles se limitaient à la région, aux sources d’approvisionnement locales, aux concurrents directs et aux clients proches. Les innovations se diffusaient lentement, laissant aux entreprises le temps de s’adapter.

Aujourd’hui, les changements sont rapides et souvent imprévisibles, rendant la survie des entreprises d’autant plus incertaine. Cela est amplifié par le développement des moyens de communication, qui ont évolué du courrier express et du télégramme, au télex, puis au fax, jusqu’à la numérisation et l’internet. Les travaux peuvent désormais être partagés en temps réel, malgré la distance, permettant la constitution de réseaux économiques où les barrières géographiques sont levées.
La gestion de l’incertitude est devenue une compétence essentielle pour les dirigeants modernes, car les environnements économiques, technologiques et sociaux évoluent à une vitesse fulgurante. Bien que l’incertitude puisse être paralysante, elle représente également une source d’opportunités pour les entreprises capables de la comprendre et de l’exploiter.

Les entreprises doivent anticiper l’imprévisible en cultivant une mentalité de résilience. Cela implique une prise de décision flexible, une adaptation rapide aux nouveaux contextes et l’encouragement d’une culture d’innovation continue. En favorisant la créativité et l’expérimentation, les entreprises peuvent transformer l’incertitude en opportunité d’innovation, développant ainsi une culture résiliente.

L’incertitude ne doit pas être perçue uniquement comme une menace. Elle peut être l’occasion de réévaluer les hypothèses stratégiques sous-jacentes. Par exemple, en utilisant des scénarios prospectifs et des plans alternatifs, les entreprises peuvent naviguer plus aisément à travers l’incertitude, en développant des réponses adaptées à différents futurs possibles. Cela rend l’organisation plus agile et proactive face aux changements, en utilisant l’incertitude comme levier de résilience.

Les dirigeants doivent reconnaître qu’ils ne peuvent pas prédire tous les événements futurs, mais en engageant l’ensemble de l’organisation dans une démarche collaborative, ils peuvent capter des signaux faibles et réagir plus rapidement. Le partage d’informations, la mise en place de processus d’amélioration continue et l’apprentissage organisationnel sont essentiels pour gérer l’incertitude, en s’appuyant sur l’intelligence collective et l’apprentissage constant.

Comme Nietzsche l’a évoqué, « ce n’est pas le doute mais la certitude qui est dangereuse ». Cette citation rappelle qu’il est préférable de maintenir un certain niveau de doute, qui alimente la vigilance et la créativité. Prendre des risques mesurés et planifiés, tout en restant ouvert à l’échec comme source d’apprentissage, permet aux entreprises de transformer l’incertitude en moteur d’évolution.

En limitant les cycles de planification à des périodes plus courtes, les entreprises peuvent ajuster leurs stratégies en continu. Des méthodologies comme l’agilité permettent de réagir rapidement à l’évolution des marchés et des conditions. Elles offrent également la possibilité de tester de nouvelles idées avec un risque minimal. Ainsi, la gestion par cycles courts et l’agilité deviennent des réponses efficaces face à l’incertitude.

En conclusion, l’incertitude ne doit pas être crainte mais comprise. Les entreprises doivent évoluer vers des modèles plus flexibles et innovants. En créant un cadre qui valorise l’expérimentation, la prise de risque et l’adaptabilité, l’incertitude devient non seulement gérable, mais peut se transformer en une puissante source de croissance.

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