Docteur en innovation et prospective, université Nice (France).Si seulement si

Dans la précédente contribution, Dr Amar Boukheddami, estime que la quête de maîtrise de l’avenir est un défi majeur pour les entreprises modernes. Il a exploré comment ces entreprises doivent affronter l’incertitude pour prospérer dans un environnement en constante évolution. L’anticipation et la transformation de l’incertitude en opportunité sont devenues des impératifs stratégiques. Pour réussir, Dr Boukheddami, les entreprises doivent adopter l’agilité et la résilience, tout en anticipant et en façonnant activement leur futur. La dynamique humaine devient ainsi le socle de la réussite de toute stratégie.
Si seulement notre distributeur avait pu suivre nos recommandations dans la fleur de l’âge.
Imaginant :
Avant la Révolution algérienne, ce distributeur, alors un homme dans la pleine force de l’âge, appartenait à une famille privilégiée sous l’administration coloniale. Grâce à cette position, chaque membre de sa famille occupait une fonction prestigieuse, que ce soit dans l’administration ou le commerce, permettant au distributeur de se consacrer pleinement à son activité. Éduqué et bénéficiant d’un système qui le préservait du travail précoce imposé à d’autres, il incarnait le citoyen idéal aux yeux de l’administration coloniale ; certains membres de sa famille étaient même décorés pour leur service dans l’armée française.
Au début de la Révolution, il se tenait à l’écart, estimant que le mouvement pour l’indépendance ne le concernait pas. Mais, au fil des années 1950, devant l’inéluctabilité de la lutte, il choisit discrètement de soutenir les révolutionnaires. Avec finesse, il naviguait entre une fidélité apparente au régime colonial et un soutien actif au mouvement indépendantiste, devenant ainsi un acteur clé. Il acheminait vivres et fonds aux combattants tout en préservant son image de commerçant loyal.
Ses visites dans les cantonnements militaires (SAS) lui offraient, sous couvert de convivialité, des informations cruciales sur les mouvements de troupes, qu’il transmettait discrètement au FLN. Cette double identité, permise par une dérogation des révolutionnaires, reflétait la complexité de son engagement et les sacrifices consentis pour l’indépendance.
Au fil de ses contacts avec les révolutionnaires, notamment avec un commissaire politique influent, il découvrait la vision d’une Algérie libérée, où l’éducation et l’égalité seraient garanties pour tous. Inspiré par ces idéaux, il envisageait déjà les ajustements nécessaires pour faire de son entreprise un acteur de cette Algérie nouvelle, prêt à adapter son activité dans ce futur incertain.
À l’indépendance, notre distributeur poursuivait son activité dans un contexte national difficile. L’économie était au ralenti, les administrations se réorganisaient, et la demande avait baissé avec le départ des militaires et des colons. Cependant, grâce à une autorisation spéciale en reconnaissance de son soutien discret, il continuait ses livraisons dans les villages, bien accueilli par les populations locales. Néanmoins, cette transition s’accompagnait d’incertitudes, renforcées par l’introduction du dinar algérien et les appels à la nationalisation des industries.
Face à cette instabilité, il opta pour une structure légère et adaptable, évitant les investissements lourds et privilégiant l’agilité, ce qui lui permettait de saisir les opportunités, comme la reprise de zones de distribution délaissées par des concurrents. L’exode rural alimentait la demande en produits essentiels, et il développa son réseau, investit dans de nouveaux équipements, tout en restant vigilant face aux menaces de nationalisation touchant son fournisseur.
En 1965, le changement de régime accentua ses réflexions sur l’avenir de son activité dans un contexte de réformes socialistes. La nationalisation des ressources, la réforme agraire et l’industrialisation marquaient une nouvelle phase, suscitant des interrogations sur la pérennité de son modèle d’affaires et la sécurité de ses activités.
L’Algérie vivait alors une période de transformation profonde, marquée par une effervescence de construction : des usines, des écoles, des logements s’élevaient partout, signe d’un développement rapide. L’exode rural alimentait villes et villages, accentuant leur expansion. Dans ce contexte, l’influence de l’État sur la production et la distribution devenait tangible, consolidant progressivement sa mainmise. Pendant ce temps, notre distributeur poursuivait son chemin, observant une croissance stable, profitant discrètement du climat économique en évolution.
Vieillissant, il envisageait la continuité de son entreprise, conscient de la nécessité de diversifier ses activités pour ne pas dépendre d’une unique source d’approvisionnement. Son expérience dans des périodes d’incertitude lui montrait que l’adaptabilité et l’innovation étaient essentielles.
Déterminé à affronter cette nouvelle ère avec la même résilience qui l’avait porté durant la Révolution, notre distributeur élabora une stratégie fondée sur la diversification et la préparation à divers scénarios, prêt à se réinventer pour assurer un avenir solide dans une Algérie en mutation.
Ainsi, l’entreprise du distributeur sut anticiper les changements, s’adapter aux nouvelles réalités économiques et politiques, et innover dans son modèle d’affaires, notamment par la diversification et l’expansion de ses réseaux de distribution. En adoptant une structure légère et flexible, il put transformer l’incertitude ambiante en opportunités, reprenant des zones de distribution laissées vacantes par des concurrents. Cette approche incarne l’idée qu’en contexte instable, agilité et anticipation permettent de faire de l’incertitude un levier de croissance durable.