Sofiane BABA
Professeur agrégé de management stratégique Université de Sherbrooke. La stratégie et son importance pour le bon fonctionnement des organisations ( 1ère partie)

Beaucoup de collègues, qu’ils soient universitaires, consultants, experts ou
entrepreneurs, ont partagé au fil des années des idées importantes sur l’importance de
la stratégie dans l’action gouvernementale et, plus généralement, dans le bon
fonctionnement des organisations. Dans cette série de contributions, je souhaite contribuer à ces
discussions en réitérant l’importance de la stratégie, c’est-à-dire savoir où l’on va,
pourquoi on y va et comment on compte y aller. C’est d’ailleurs cette définition simple,
mais utile, de la stratégie qui sous-tend ma réflexion. Dans cette première contribution,
je reviens sur la stratégie, son importance et l’évolution de sa conception au fil des
décennies. Une deuxième contribution proposera d’aller un peu plus loin prochainement.
Cinq siècles avant J.-C., Sun Tzu publiait le traité militaire le plus connu aujourd’hui,
L’Art de la guerre. La contribution de Sun Tzu s’est intéressée à la guerre. Une question
légitime est de savoir en quoi la logique militaire peut contribuer à la stratégie des
organisations. On pourrait avancer que les armées sont des organisations hautement
efficaces, avec des stratégies souvent bien définies dans l’esprit du commandement et
des militaires. On peut s’en inspirer. Dans le cas des armées, il est difficile de ne pas
avoir de stratégie. Il y va de la vie de milliers, voire de millions, de soldats. Sun Tzu
argumentait dans son traité que la bonne stratégie consistait à gagner sans se battre.
Ce traité est reconnu comme une contribution importante à notre compréhension de ce
qu’est la stratégie des organisations.
Dans le bon fonctionnement des organisations, la stratégie est essentielle. Il n’y a plus
de doute à ce sujet : les universitaires ayant travaillé sur la stratégie dans le dernier
siècle sont unanimes. La stratégie permet d’avoir une orientation claire, structure l’action
et facilite l’allocation des ressources. Elle permet aussi de prévenir un fonctionnement
clanique des organisations où les structures décisionnelles obéissent à des règles
ambiguës. Puis, la stratégie fédère les énergies autour d’un objectif commun. Sans elle,
ce sont les ambitions éparses qui prennent le dessus, au gré des vents et du contexte.
Vu de l’extérieur, cela donne une impression d’égarement et d’incohérence dans les
décisions. Par ricochet, les individus, pourtant indispensables à la concrétisation de la
stratégie, auront tendance à moins adhérer au projet collectif et à s’investir au minimum.
Pour illustrer cette idée, imaginons une personne qui quitte son domicile sans savoir où
elle va. Elle ne sait pas à quelle heure elle doit rentrer ni combien de calories elle
souhaite ou peut dépenser. Elle emprunte parfois des ruelles de manière impulsive,
avant de rebrousser le chemin. Puis, au gré des bruits, sa trajectoire dévie
constamment. Elle bouge beaucoup, mais sans véritable progression vers un but.
Quelques heures plus tard, sous la chaleur, son énergie s’épuise et la personne
s’immobilise. Derrière elle, d’autres marchent d’un pas vif, GPS en main, déterminés à
rejoindre un lieu bien précis.
À l’image de ces marcheurs décidés, une organisation dotée d’une stratégie avance
avec détermination, tandis que celles qui en manquent s’épuisent dans des
mouvements désordonnés qui l’épuiseront ainsi que toutes ses parties prenantes.
Revenons à deux questions fondamentales : qu’est-ce que la stratégie et comment la
mettre en œuvre ? La stratégie, c’est faire un choix sur l’avenir et accepter de prioriser
certains aspects au détriment d’autres. Tout faire n’est pas une bonne stratégie. Dans le
développement économique des nations, on distingue différentes stratégies : certains
pays misent sur la technologie et le savoir-faire avancé (p. ex. l’Allemagne), tandis que
d’autres capitalisent sur leur géographie pour bâtir une économie fondée sur la finance
et la logistique (p. ex. Singapour). Répondre au pourquoi est également un élément clé
de la stratégie. Enfin, la question du comment est tout aussi essentielle : trois
organisations peuvent poursuivre une même direction, mais leurs motivations et la
manière dont elles concrétisent leur stratégie auront un impact déterminant sur leur
performance à long terme.
La stratégie, en tant que concept, est souple. Si bien que notre conception de la
stratégie des organisations a beaucoup évolué dans les dernières décennies. En réalité,
c’est surtout notre façon de penser la stratégie et la façon de la mettre en œuvre qui a
évolué, au fur et à mesure que nos organisations se sont complexifiées. Au début du
20e siècle, la stratégie était perçue comme le prolongement des dirigeants, voire des
fondateurs ou du dirigeant principal, considérés comme des êtres dotés d’une
intelligence singulière et d’une connaissance approfondie de leur organisation et de son
environnement. On tenait alors pour acquis qu’ils étaient les mieux placés pour formuler
la stratégie de leur organisation, généralement en silos et sans implication des autres
niveaux hiérarchiques. Cette conception a peu de chances de générer de bons résultats
aujourd’hui.
La suite dans la prochaine contribution.