Chroniques : L’économie concrètement

Taïeb Hafsi
Professeur émérite, HEC Montréal.
Réflexions et clarifications sur l’économie et la société (2ème partie)

Présentation des notes

Cette chronique économique et sociale présente une série de notes destinées à clarifier les règles importantes qu’un état intelligent utilise ou respecte pour stimuler un fonctionnement économique et un équilibre social satisfaisant. Ces notes sont élaborées en ayant surtout à l’esprit les besoins des pays dont les économies sont émergentes. Elles sont utiles notamment pour l’Algérie et les pays du front méditerranéen de l’Afrique. Elles peuvent aussi être utiles pour l’ensemble des pays africains et des pays du tiers-monde.

L’auteur est professeur émérite en stratégie des organisations à HEC Montréal et membre de la Société royale du Canada. Il a une longue expérience en enseignement et recherche sur les sujets de management appliqué aux organisations complexes, en particulier les états, les organisations diversifiées et les organisations internationales. Ses travaux sur ces sujets ont été diffusés dans plus de 40 livres et 150 articles de revues internationales.

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Encourager la demande et l’innovation

Nous avons déjà argumenté l’importance de règles du jeu stables. À l’intérieur de ces règles du jeu, l’État peut jouer un rôle plus fin de stimulation des acteurs. Historiquement, l’État s’est toujours reposé sur le marché et l’entreprise privée pour créer des emplois. Mais l’entreprise privée ne crée des emplois que si sa production est pertinente et trouve acquéreur. C’est pour cela que l’État a joué à la fois un rôle keynésien et un rôle schumpétérien. Dans le rôle keynésien, il a surtout créé une demande pour les produits des entreprises. Dans le rôle schumpétérien, il a créé les conditions pour le développement de l’innovation scientifique et industrielle. Nous allons dans cette note mettre l’accent sur l’action keynésienne.

L’offre de produits et service est généralement tirée par la demande, surtout dans des périodes déprimées comme celle que nous vivons dans l’après pandémie Covid 19. C’est la demande qui suscite l’investissement des entreprises, parce qu’elles y voient l’occasion de profits et de croissance. En agissant sur la demande, l’État agit également sur l’investissement et la dynamique économique nationale. C’est ainsi que durant la grande dépression, qui a suivi le crash boursier de 1929 aux États-Unis, la relance a pu se faire grâce à une stimulation de la demande. C’est à ce moment-là que Keynes, le grand économiste anglo-américain, s’est fait connaître.

En général, trois grands moyens sont utilisés pour stimuler la demande :

  1. Accroître le pouvoir d’achat des citoyens-consommateurs
  2. Réduire les charges des citoyens
  3. Accroître les dépenses directes de l’État

Pour accroître le pouvoir d’achat des citoyens et réduire leurs charges, trois méthodes affectant les dépenses de l’État sont utilisées :

  1. Augmenter les salaires et avantages sociaux des employés en utilisant le leadership du service public (En France, cela s’est fait notamment de manière décisive après la deuxième guerre mondiale).
  2. Diminuer les impôts et les prix des services essentiels (électricité, eau, énergie domestique, voirie, etc.) des citoyens.
  3. Réduire les coûts des ménages notamment en réduisant l’inflation, les grandes dépenses (comme l’immobilier) et surtout en rendant le crédit facile et peu coûteux. Ces facteurs ne sont pas faciles à manipuler parce qu’ils peuvent évoluer dans des sens opposés. Quand l’un augmente, l’autre diminue. Ainsi, en réduisant les coûts du consommateur, on peut augmenter trop vite la demande et stimuler l’inflation.

Compte tenu de cela, les actions qui peuvent stimuler l’économie dans les pays en émergence ou à économie dynamique sont :

  1. 1. Maintenir la dépense publique raisonnable, notamment pour le développement des infrastructures routières, éducatives, de santé.
  2. Maintenir l’encouragement public pour l’accession au logement à loyer modéré par le plus grand nombre. Ne rien donner gratuitement mais rendre accessible.
  3. Confier à la Banque centrale (e.g., Banque du Canada, Banque d’Algérie) la gestion des taux d’intérêt et de l’inflation avec comme mission de les maintenir tous les deux au plus bas (aussi bas que ceux des pays occidentaux les plus proches).
  4. Lorsqu’il y a contrôle des changes, mais ceci est vrai en général, la Banque centrale doit aussi mettre en place le staffing requis et un système d’information élaboré pour suivre et débusquer les actions spéculatives de type « hot money », avec en tête une libéralisation financière future plus grande.
  5. Coordonner les approvisionnements de l’État, notamment ceux des services publics et des forces armées, de manière à créer une demande pour les entreprises du pays. Parallèlement, réduire progressivement le recours aux importations. Ceci devrait dynamiser des secteurs comme le textile-vêtement, l’électronique, les petits équipements roulants, la construction immobilière et le petit armement. Plus tard, des domaines plus lourds, comme la construction navale, la construction aéronautique, la construction automobile, pourraient décoller grâce à cette demande.
  6. Réduire les taxes pour les produits fabriqués au pays et remplaçant les importations. La référence en matière d’importation doit être la date d’annonce de la décision. Ces décisions doivent être revues tous les trois ans.
  7. Réduire les impôts pour les profits de productions remplaçant les importations. La référence en matière d’importation doit être la date d’annonce de la décision. Ces décisions doivent être revues tous les trois ans
  8. Imposer de manière plus favorable les dividendes venant d’activités productives remplaçant les importations.
  9. Encourager le réinvestissement des dividendes dans des activités industrielles au pays, en établissant un système fiscal plus favorable que celui des pays occidentaux voisins.
  10. Donner à chaque citoyen ayant un revenu en dessous du seuil de pauvreté un crédit de consommation qui peut être utilisé de manière discrétionnaire pour acheter des produits fabriqués localement par des entreprises de petites tailles (échelle à déterminer).
  11. Accroître les taxes pour tous les produits susceptibles de concurrencer les produits locaux, notamment ceux importés actuellement.
  12. Donner aux étudiants ayant réussi leur baccalauréat un crédit éducation variant avec la mention et qui peut être utilisé pour rejoindre une école de leur choix.
  13. Donner une aide spéciale aux clubs sportifs utilisant des joueurs ou athlètes locaux.
  14. Encourager, en réduisant les taxes, la consommation locale de produits agricoles locaux et accroître les taxes des produits agricoles qui voyagent au-delà de 100 km.

Ces éléments sont la base nécessaire pour l’innovation que nous aborderons dans une note prochaine.


[1] C’est le terme utilisé pour les circulations rapides de fonds pour exploiter des différences de rendement entre pays ou régions. L’investissement sur une journée ou une nuit peut coûter des sommes étonnantes aux états ouverts qui ne sont pas attentif à ces mouvements de fonds. Les autorités turques ont recensé des pertes de plusieurs milliards de dollars lors de la crise financière de 1997.

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