Chroniques : L’économie concrètement

Taïeb Hafsi
Professeur émérite, HEC Montréal.
Zhou En Lai, Deng Xiao Ping et la Gestion de la crise de fin de règne

Présentation des notes

Cette chronique économique et sociale présente une série de notes destinées à clarifier les règles importantes qu’un état intelligent utilise ou respecte pour stimuler un fonctionnement économique et un équilibre social satisfaisant. Ces notes sont élaborées en ayant surtout à l’esprit les besoins des pays dont les économies sont émergentes. Elles sont utiles notamment pour l’Algérie et les pays du front méditerranéen de l’Afrique. Elles peuvent aussi être utiles pour l’ensemble des pays africains et des pays du tiers-monde.
L’auteur est professeur émérite en stratégie des organisations à HEC Montréal et membre de la Société royale du Canada. Il a une longue expérience en enseignement et recherche sur les sujets de management appliqué aux organisations complexes, en particulier les états, les organisations diversifiées et les organisations internationales. Ses travaux sur ces sujets ont été diffusés dans plus de 40 livres et 150 articles de revues internationales.

Zhou En Lai, Deng Xiao Ping et la Gestion de la crise de fin de règne

Ce qui caractérise tous les dirigeants de la Chine de l’époque révolutionnaire maoïste, c’est que c’étaient tous des Hommes d’État. Ils ne pensaient qu’en termes de l’intérêt de la nation. Même s’ils se sont battus pour le pouvoir, ce fut un combat d’idées destiné à définir ce que la Chine devait être. Il n’y avait pas d’intérêt économique en jeu et la corruption économique était au niveau zéro.

En fait, Zhou et Deng étaient de la même génération de dirigeants de la Chine. Deng était un junior lorsque le groupe était à Paris, alors que Zhou était le leader incontesté. Mais comme Deng avait un caractère, des talents et une philosophie, semblables à ceux de Zhou, Mao le grand manipulateur et stratège l’avait promu pour contrebalancer le pouvoir de Zhou. Il pensait pouvoir les opposer à l’occasion. Les deux hommes ne s’étaient pas beaucoup connus. Deng respectait l’équilibre de Zhou et sa capacité à mener une politique économique différente, sans irriter Mao. Zhou avait reconnu en Deng un personnage résilient et courageux, capable de maintenir une position et de se battre intelligemment pour la préserver. Leur alliance fut donc implicite, jamais conçue de manière explicite. Ils se soutenaient sans jamais l’avoir décidé ensemble. Ils avaient tous les deux un talent incomparable pour comprendre les intentions de Mao et de tous les autres acteurs et de trouver des formules pour éviter la confrontation. C’était des alter-égo. Parmi le groupe de direction (une dizaine de personnes) Zhou et Deng étaient aussi les plus compétents en matière de gestion de l’économie.

Mao pensait que les caciques du parti empêchaient l’approfondissement de la révolution. Il voulait libérer les énergies populaires pour garder le pouvoir contre l’appareil politique que seul l’habile Zhou pouvait gérer.

L’épouse de Mao, Jiang Qing[1], était la révolutionnaire en chef. Elle avait le contact avec les gardes rouges, de jeunes adolescents manipulés et capables de tout, et parlait au nom de Mao. Jiang Qing soutenait que ceux qui parlaient d’économie étaient des ennemis de la révolution. Elle se positionnait souvent comme plus radicale que Mao lui-même. Ce dernier ne voulait pas entendre parler du fonctionnement de l’économie. Jiang Qing le représentait bien. Pour lui, dès qu’on parlait d’économie, on mettait en danger son pouvoir politique. Le développement économique, même par le biais d’entités publiques, créait des sources de pouvoir autonomes, ce qui était insupportable pour le Grand timonier. La maladie ne faisait qu’aggraver ce sentiment paranoïaque et de vulnérabilité. Zhou, qui ne pensait pas seulement en termes de pouvoir mais en termes de survie du pays, croyait que si l’économie ne fonctionnait pas, alors le pays se diviserait et ne serait pas capable de résister aux puissances étrangères. On voit alors toute la difficulté qu’il y avait à rassurer un Mao malade physiquement et psychologiquement et continuer à faire fonctionner le pays.

Zhou s’est concentré sur le fonctionnement de l’agriculture et sur les industries de base (armement, agroalimentaire, artisanat, petite industrie, construction). Il tentait à la fois de convaincre les gardes rouges de ne pas s’attaquer à ces industries en invoquant des considérations de sécurité nationale, et de rassurer les gestionnaires inquiets qui étaient ciblés par les révolutionnaires aveuglés par le soutien de Jiang Qing et de Mao. Le pays était dans un état de chaos généralisé et tous les hommes politiques principaux ainsi que les grands officiers militaires considéraient qu’il fallait convaincre Mao d’arrêter la révolution sauvage. Celui-ci éliminait quiconque évoquait cela en ces termes. Seul Zhou était capable de lui parler sans susciter de réaction violente. Sa méthode est qu’il approuvait ses actions de renforcement de la révolution, mais lui demandait aussi d’accepter la protection des personnes importantes « pour le fonctionnement du pays ». Il ne parlait jamais d’économie.

Parallèlement, Deng qui avait été nommé adjoint de Zhou pour le contrôler était sur le terrain et se rendait compte de l’état avancé de désordre. Il ne voulait pas non plus s’opposer à Mao, mais tout en approuvant ce dernier du bout des lèvres, soutenait en fait Zhou pour faire avancer les choses. Pendant toute la période, Zhou était la bouée de sauvetage de tous les cadres de la nation. Il passait son temps à protéger, à rassurer vers le haut et à rassurer vers le bas. Beaucoup de personnes, politiques, militaires ou cadres supérieurs, ont bénéficié de son incroyable travail de protection et de stabilisation dans la période la plus perturbée de la Chine de Mao. Vers la fin de sa vie, il fut lui-même mis en cause par Jiang Qing comme menant des activités « contre-révolutionnaires ».  Mao ayant éliminé les personnes qu’il avait lui-même nommé pour lui succéder (Liu Shawqi et Lin Biao[2]), il retrouvait en deuxième position Zhou, l’éternel.

Paranoïaque, il avait toujours l’impression que le dauphin complotait pour le remplacer. Il décida alors d’éliminer Zhou aussi. Celui-ci, le révolutionnaire le plus respecté, du alors mener sa propre défense devant ses camarades de la haute direction. La défense qu’il a développée est restée dans les annales. Reconnaissant ses erreurs mais démontrant son dévouement à la cause, il fut dédouané pour mourir tranquille. Zhou était à ce moment-là atteint d’un cancer de la vessie. Mao avait ordonné qu’on ne l’opère pas, mais qu’on lui donne des soins palliatifs. Cela fut interprété comme un acte malveillant par les historiens de cette époque. En fait, cela a du précipiter son décès. Il fut reconnu par tous comme l’homme qui avait sauvé la Chine. Richard Nixon[3] disait de lui : « C’est le plus grand homme d’État de notre époque ! ».

Mao ne lui survécut que quelques mois. Ainsi, la Chine perdait au même moment son président et le plus habile de ses premiers ministres. Ceux qui restaient voyaient que la Chine était au bord du précipice, économiquement et politiquement. Ils commencèrent par éliminer Jiang Qing et les trois responsables qui soutenaient le désordre révolutionnaire. Ensuite, se rappelant les recommandations de Zhou à la fin de sa vie, ils firent appel à la seule personne capable de remettre l’économie en marche : Deng Xiao Ping.

Nous verrons dans la prochaine note les actions décisives de Deng Xiao Ping qui ont finalement remis la Chine sur les rails.

[1] Prononcer Jiang Tchin

[2] Prononcer Liyu Chaotchi et Line Bi_a_o.

[3] Richard Nixon fut président des États-Unis de 1969 à 1974. Avec l’aide de son secrétaire d’État Henry Kissinger, il visita la Chine en 1972 et rencontra Mao, ce qui amorça une nouvelle ère dans les rapports Chine-Etats-Unis.

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