AuteurTigre et Dragon

« Pendant que nous parlons, le temps jaloux s’enfuit. Cueille le jour, et ne crois pas au lendemain. »
Horace

Qui peut dire de quoi demain sera fait ? Si le présent s’appelle « présent », ce n’est pas anodin puisque c’est le seul cadeau que l’on reçoit véritablement de l’existence. Tandis que le passé s’échappe, sable dans un sablier, et n’est plus qu’un écho lointain dans notre esprit, le futur est toujours incertain, même pour le plus fort des êtres, le plus riche, le plus averti, le plus chanceux.
Le passé n’existe que dans notre mémoire et dans quelques clichés, vidéos et accessoires, dans ce qu’il laisse à la postérité mais sans jamais se soucier de l’architecte, du créateur. Ne restent que les impressions. Rappelez-vous de la nouvelle de Philip K. Dick, « Souvenirs à vendre », magistralement adaptée à l’écran par Paul Verhoeven sous le titre « Total Recall », avec l’inénarrable Arnold Schwarzenegger. Elle présente un monde futuriste où l’on peut manipuler la mémoire à volonté. Pourquoi s’embarrasser à vivre quelque chose, un voyage, une aventure, alors qu’on peut simplement vous implanter dans le cerveau le souvenir d’avoir vécu tel ou tel évènement ? Ça vrille quelque peu les esprits mais c’est d’une telle justesse !
Et le futur ? Qui peut parier qu’il sera encore là pour le voir ? On le devine, on s’imagine pouvoir le prédire, on donnerait des milliards pour savoir mais on ne fait qu’emplir les poches des charlatans. Qui pouvait prévoir qu’un ancien président, avec autant de casseroles qu’un vendeur de… casseroles, puisse revenir au pouvoir aux Etats-Unis ? Et l’avenir nous a montré que tout le monde se Trump. Qui pouvait prévoir qu’un virus pourrait créer un tel état de psychose qu’il a bouleversé le monde ? Qui peut prévoir la guerre ou la paix ? La misère ou la richesse ? La réussite ou la débâcle ? La santé ou la maladie ?
Ainsi, le présent se suffit-il à lui-même et n’a nul besoin de nostalgie ou d’espoir. C’est du moins ce que l’on pourrait croire, mais il est facile de le dire, difficile de s’y tenir. Il faut vivre le moment présent, voilà le genre de phrases pleines d’emphases qui ne sont que des traînes de paon : belles à la parade, inutiles dans la panade !
Cependant, et pour ceux qui se soucient peu du réalisme moderne, on m’a raconté un jour une fable qui illustre de manière élégante cette idée de vivre le moment présent. Je vous la rapporte à mon tour :
Un jour, un homme était poursuivi par des brigands. Dans sa fuite, il ne trouva refuge pour se soustraire à ses poursuivants que dans un puits dans lequel il se jeta tout en s’agrippant à la corde qui servait à remonter le seau. S’il lui prenait l’envie de remonter au bord du puits, les bandits le verraient, les épées sorties du fourreau attendant d’embrocher le fuyard. S’il descendait tout au fond, il risquait de se noyer à coup sûr. Se sachant ainsi condamné, il se souvint avoir mis quelques dattes dans un repli de sa tunique. Il résolut de les manger et de déguster ces fruits ô combien sucrés. De la même manière, l’être humain est poussé vers l’espoir, vers l’avenir où ne l’attend finalement que la mort. Et lorsque le regard se tourne vers le passé, il se rend compte qu’il n’est fait que de regrets. Il faut vivre le moment présent et en profiter tant que faire se peut.
Je trouvais la fable fort plaisante, même si je la connaissais mais d’une source beaucoup plus ancienne, et qui met en vedette un moine bouddhiste sur la branche d’un arbre, échappant ainsi à un tigre à sa poursuite et qui l’attend au pied de l’arbre, et menacé par un dragon virevoltant à la frondaison dans l’attente d’un prochain repas. Le moine se résolut à profiter du moment présent en cueillant les fruits succulents de l’arbre à portée de main. Le tigre auquel il échappait était son passé, et le dragon son avenir.
Et l’arbre, la vie à laquelle nous nous accrochons désespérément…
T.A.M.