Chroniques : L’économie concrètement

Taïeb Hafsi
Professeur émérite, HEC Montréal.
Réflexions et clarifications sur l’économie et la société (3ème partie)

Présentation des notes

Cette chronique économique et sociale présente une série de notes destinées à clarifier les règles importantes qu’un état intelligent utilise ou respecte pour stimuler un fonctionnement économique et un équilibre social satisfaisant. Ces notes sont élaborées en ayant surtout à l’esprit les besoins des pays dont les économies sont émergentes. Elles sont utiles notamment pour l’Algérie et les pays du front méditerranéen de l’Afrique. Elles peuvent aussi être utiles pour l’ensemble des pays africains et des pays du tiers-monde.
L’auteur est professeur émérite en stratégie des organisations à HEC Montréal et membre de la Société royale du Canada. Il a une longue expérience en enseignement et recherche sur les sujets de management appliqué aux organisations complexes, en particulier les états, les organisations diversifiées et les organisations internationales. Ses travaux sur ces sujets ont été diffusés dans plus de 40 livres et 150 articles de revues internationales.

Encourager l’investissement, un exercice subtil

Dans les pays en émergence, comme ceux du front méditerranéen de l’Afrique, la demande est souvent satisfaite par les importations. L’État souhaite pour sa part réduire la dépendance vis-à-vis de l’étranger en encourageant le développement de la production domestique. Cette action a aussi le mérite important de générer de l’emploi, d’apporter une plus grande maîtrise technologique et d’accroître la richesse des citoyens.

Pour accroître la production domestique, l’État doit encourager les acteurs économiques, surtout privés (nationaux et étrangers), à créer de la valeur en prenant des risques et en investissant leurs ressources. C’est ce que les lois sur l’investissement contribuent à faire. Mais la loi n’est pas suffisante, il faut développer des comportements complémentaires pour que l’investissement soit vivant et adapté aux besoins du pays.

Encourager signifie pour l’essentiel accroître les chances de succès des investisseurs. Cela se fait généralement de trois grandes façons :

  1. Contribuer à réduire les coûts (facilités administratives, terrains à bas prix, subventions à l’emploi et à l’innovation, aide aux opérations, notamment à la certification qualité, réduction des taxes et impôts, aide à l’exportation, garanties de financement, etc.)
  2. Assurer une demande. Ainsi souvent l’État se transforme parfois en acheteur, garantissant une demande pour les acteurs qui obtiennent des contrats d’approvisionnement. Aussi, l’État peut encourager la demande en réduisant les taxes à la consommation ou en subventionnant la consommation (c’est ce qui se produit actuellement dans des pays comme l’Algérie ou la Tunisie) pour les produits alimentaires de base et ceux de l’énergie).
  3. Accompagner des entreprises choisies pour en faire des champions. Le gouvernement de la Corée du Sud a été par exemple le facteur principal dans le développement des grandes entreprises actuelles comme Samsung ou Hyundai. Dans ce cas, un contrat est généralement établi par lequel l’entreprise s’engage à travailler pour la réalisation de certains objectifs en retour d’avantages spécifiés.

Dans le cas de l’Algérie, mais c’est similaire pour beaucoup d’autres pays, sous réserve d’une adaptation aux dispositions du code des investissements, les actions complémentaires suivantes sont alors nécessaires pour dynamiser l’investissement nécessaire au développement économique :

  1. Supprimer les instances de contrôle de l’investissement, comme fut le Conseil national des investissements, qui deviennent rapidement des freins déraisonnables à l’investissement. Ces conseils doivent devenir essentiellement des conseillers à la Présidence et au Premier ministre. C’est ce vers quoi semble s’orienter plusieurs lois de promotion de l’investissement dans la région.
  2. Aucune autorisation ne doit être nécessaire pour investir, sauf pour des secteurs stratégiques clairement prédéfinis. Dans ce dernier cas aussi, la philosophie doit toujours être l’encouragement de l’investissement, mais respect de règles préétablies.
  3. Créer une agence opérationnelle et dynamique d’encouragement de l’investissement producteur de valeur (INVESTISSEMENT ALGÉRIE ou INVESTISSEMENT TUNISIE, sur le modèle d’INVESTISSEMENT QUÉBEC ou équivalent ailleurs). En Algérie l’Agence nationale de promotion de l’investissement ou ANPI prévue par la loi semble destinée à cette activité. Cette agence qui doit fonctionner comme une entreprise négocie avec les entreprises nationales et étrangères des packages adaptés à la nature de l’investissement envisagé. Elle signe avec elles des contrats de programme. Les packages comprennent terrains, avantages, subventions, financement, etc., en retour d’engagements spécifiques de l’entreprise concernée.
  4. L’ANPI doit disposer de son propre budget, être gérée de manière autonome et jugée sur la base de la réalisation des programmes convenus avec le gouvernement.
  5. L’ANPI peut être organisée par grands secteurs d’activité (Agriculture, Industries de consommation, Industries intermédiaires, Services financiers, Services de consommation, Santé, Éducation, etc.).
  6. Des agences locales peuvent jouer le même rôle au niveau municipal ou régional. Ce serait une façon habile de promouvoir la décentralisation.
  7. Créer une agence de gestion des terrains à bâtir industriels (avec une autonomie et des moyens conséquents). Cette agence qui doit fonctionner comme une entreprise autonome serait chargée de faire l’acquisition (auprès des privés, des municipalités et autres administrations régionales) des terrains à céder aux investisseurs. Elle vendrait ses terrains à l’ANPI (pour la réalisation de ses programmes) ou à des entreprises privées. La performance de l’agence serait jugée en fonction de la réalisation du programme annuel du gouvernement.
  8. La valeur des terrains serait proposée aux investisseurs importants par l’ANPI et leur enveloppe approuvée annuellement par le Premier ministre ou le Président, chef du gouvernement. Les administrations locales pourraient réduire les prix dans une fourchette préétablie pour attirer des investisseurs vers les municipalités ou régions.
  9. Choisir 10 entreprises par an, comme candidates à des contrats de « champions nationaux ». Ces champions, choisis par le premier ministre, signent des engagements de réalisation selon des cahiers de charge spécifiques, en retour d’avantages négociés. Ceci peut aussi servir de modèle aux administrations locales qui pourraient choisir des « champions locaux ou régionaux ».
  10. Les entreprises choisies bénéficieraient notamment d’avantages supplémentaires par rapport à ceux consentis par l’ANPI, notamment accès compétitif aux marchés publics et un accompagnement international pour les exportations et des services administratifs ou consulaires adaptés (études de marché, démarchages, protection physique et légale, facilités fiscales et douanières, etc.).
  11. Les entreprises d’État et les entreprises privées doivent être traitées de manière équivalente, avec comme objectif de construire une économie solide. Dans les contrats établis avec les unes et les autres, seuls les objectifs à atteindre changent de nature.
    1. Les entreprises publiques sont généralement chargées de secteurs considérés comme sensibles pour la sécurité nationale (e.g., Sonatrach en Algérie, Étap en Tunisie, OCP au Maroc) ou dans des secteurs trop risqués ou peu attirants pour le privé (e.g., secteurs de pointe ou en déclin).
    2. Les entreprises privées sont jugées par la création d’emploi, l’innovation technologique, la performance de marché (exports, remplacement des imports) et financière (profits soumis à l’impôt).
  12. Le contrôle fiscal doit être statistique (aux 5 ans) ou justifié par des faits qui sortent de l’ordinaire. Il ne doit jamais être conçu comme punitif.
  13. Le contrôle douanier doit être conçu comme facilitateur de la réussite des investissements. Le département des douanes doit être jugé non pas sur le nombre de malversations révélées (sinon il va les créer), mais sur le nombre de transactions utiles à l’économie, qu’il a permis.
  14. A terme, il faudra aligner les prix, notamment ceux de l’énergie, sur ceux du marché international et utiliser les ressources générées pour financer l’ANPI et autres activités d’encouragement de l’investissement dans les secteurs du transport collectif et pour aider les citoyens les plus démunis à utiliser ces services.

La prochaine note évoquera les liens entre indépendance géopolitique et dynamisation de l’économie.

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